OPTA Pro Forum 2017 (8) – L’art de centrer

1 000 centres aléatoires
1 000 centres aléatoires

En collaboration avec OMalytics, on a décidé de vous faire un tour d’horizon des différentes présentations de l’édition 2017 de l’OPTA Pro Forum, un ensemble de conférences réalisées par des analystes statistiques à l’aide de données fournies par OPTA.

Est-ce que les centres sont une forme efficace d’attaque ?

C’est la question sur laquelle Garry Gelade s’est penché en vue de l’OPTA Pro Forum 2017. Une interrogation d’actualité alors que le centre est présenté comme dépassé dans le football moderne mais reste une obsession anglaise.

Les six dernières années ont vu le nombre de centres diminuer dans les principaux championnats européens de 17,5 par match en 2010/2011 à 15,0 en 2016/2017. Par contre, les chiffres ne montrent aucune différence entre la Premier League et les autres championnats.

Certains affirment que centrer est inefficace, argumentant qu’il faut 92 centres pour marquer un but. Mais ce nombre ne considère que l’effet immédiat d’un centre. Quand on prend en compte les effets indirects (buts marqués sur les deuxièmes ballons, corners et penaltys concédés), on est plutôt autour de 45 centres pour marquer.

 

Les effets du score

Les critiques les plus virulentes sont venues du professeur d’économie tchèque Jan Vecer. Vecer affirme que centrer n’est pas seulement inefficace mais également contre-productif.

Dans une analyse statistique détaillée, il a montré que les équipes qui centrent moins marquent plus de buts et en a conclu que si les équipes de Premier League arrêtaient de centrer, elles marqueraient 15 buts de plus par saison.

Malheureusement, cet argument reflète un malentendu dans la relation de cause à effet que l’on peut identifier en regardant l’évolution du score sur 90 minutes. On s’en aperçoit en analysant les changements dans la fréquence des centres selon si une équipe marque ou concède un but.

Le résultat est clair : le nombre de centres d’une équipe diminue après qu’elle ait marqué et augmente quand elle concède un but. Les clubs ne marquent pas plus parce qu’ils centrent moins – ils centrent moins parce qu’ils marquent plus.

C’est très différent et assez logique footballistiquement. Une équipe devant au score va généralement jouer plus défensif que quand elle est menée. Il n’y a aucune preuve que réduire le nombre de centres augmenterait le nombre de buts marqués.

 

Le type de centre le plus efficace

Quel est le type de centre le plus efficace ? D’où les équipes devraient centrer et vers quelle zone ? Pour répondre à ces questions, Garry Gelade a analysé 33 954 centres sur trois saisons de PL parmi lesquels 666 furent réussis (un but dans les six secondes suivant le centre).

Exemple d'arbre décisionnel : survivre au Titanic
Exemple d’arbre décisionnel : survivre au Titanic

Pour classifier les centres, il a utilisé un arbre de décision (similaire à la conférence sur l’optimisation des zones de tirs) et une technique appelé inférence conditionnelle. Cet algorithme est particulièrement utile quand le nombre de réussites dans l’échantillon est faible par rapport au nombre d’échecs.

L’utilisation d’un arbre de décision a permis de découper les centres en différentes catégories selon leur point de départ et d’arrivée ou s’ils étaient joués en l’air ou au sol avec un taux de réussite allant de 0,2% à 11,8%.

Les centres avec le plus faible taux de succès sont ceux qui sont soit trop courts soit trop longs. En d’autres termes, les passes terminant après le second poteau ou trop court pour le premier poteau. La catégorie la plus efficace correspond aux centres à ras de terre qui dépassent la ligne centrale mais pas de plus de 5 mètres.

 

Recommandations

Les images ci-dessous illustrent certaines des autres catégories de centres et mettent en avant l’impact sur le taux de réussite que peut avoir un petit changement.

Comparaison entre les catégories 6 et 7.
Comparaison entre les catégories 6 et 7.

Pour les catégories 6 et 7, on trouve les centres vers la surface atterrissant dans une zone de 4 mètres à gauche ou à droite du premier poteau et entre la ligne de la surface de but et celle de la surface de réparation. Ce qui les différencie c’est l’origine du centre.

Les centres de catégorie 6 sont délivrés de derrière et on un taux de conversion de seulement 0,5%. A l’inverse, les centres de catégorie 7 sont tentés de plus haut sur le terrain, ce qui fait plus que tripler le taux de réussite jusqu’à 1,7%.

Comparaison entre les catégories 17 et 18.
Comparaison entre les catégories 17 et 18.

Les catégories 17 et 18 sont constituées de centres hauts vers le second poteau avec le tireur au moins à 5 mètres de la ligne de touche et qui ne finissent pas à plus de 5 mètres de la ligne centrale. La différence entre les deux est la distance jusqu’à la ligne de but.

Les centres de catégorie 17 atterrissent derrière le point de penalty alors que ceux de catégorie 18 atteignent la zone entre le point de penalty et le but. Cette différence qui peut sembler faible a une grosse influence sur le taux de réussite. Le taux de conversion des centres derrière le point de penalty n’est que de 2% contre 5,8% pour ceux qui le dépassent.

 

Applications
Quatre zones de centres.
Quatre zones de centres.

Avec un représentant d’un club de Premier League, Garry Gelade a divisé en quatre parties la zone depuis laquelle les centres sont le plus souvent adressés. Il a ensuite consulté ses données afin de définir un ensemble de recommandations pour maximiser le taux de réussite de chaque zone.

Ne pas centrer trop près du but (zone 1)
Ne pas centrer trop près du but (zone 1)
Ne pas centrer trop loin du but (zone 2)
Ne pas centrer trop loin du but (zone 2)
Centrer vers le centre de la surface (zone 3)
Centrer vers le centre de la surface (zone 3)
Il vaut mieux centrer au second poteau (zone 4)
Il vaut mieux centrer au second poteau (zone 4)

 

Conclusion

Centrer a obtenu une mauvaise réputation pour les observateurs du football anglais après l’échec de Damien Comolli de construire une équipe s’appuyant là-dessus à Liverpool. Avec de bons centreurs comme Henderson, Enrique et Downing aux côtés d’Andy Carroll attendant le ballon dans la surface, Liverpool a produit 787 centres pendant la saison 2011/2012 – beaucoup plus qu’une autre équipe – pour un faible total de 4 passes décisives.

Comme Garry Gelade l’a expliqué, le problème était sans doute que l’importance excessive des centres a conduit à ce qu’ils soient délivrés trop tôt. Les centres de Liverpool avaient un point de départ 3 mètres plus bas que toutes les autres équipe de Premier League.

D’un autre côté, le style de Liverpool était probablement trop prévisible. C’est beaucoup plus facile de défendre quand on sait comment l’adversaire va jouer. Et le bon sens suggère d’avoir une variété d’options offensives. Si une équipe ne centre jamais, ou ne passe jamais par le milieu, elle aura plus de chance d’être bloquée. Même si, en soi, centrer n’est pas le moyen le plus efficace de marquer, il est important de conserver cette option.


Notre avis

@Birdace : Je suis content de voir que le sujet des centres n’a pas disparu. Il me semblerait bizarre de penser que tous les centres se valent au moment où on différencie de plus en plus entre les différentes situations de tirs.

Il faut privilégier le type d’attaque le plus efficace mais pas mettre tous ses œufs dans le même panier. D’autant plus que la capacité de s’adapter à l’adversaire est importante sur une saison.

Pour en revenir à cette présentation, je trouve les graphiques avec recommandation pour chaque zone particulièrement efficaces.

@OMalytics : De manière générale, j’aime beaucoup les articles de Garry Gelade. Ils traitent de sujets importants avec une rigueur et un ton toujours agréables à lire.

Concernant cet article en particulier, il a le mérite de tordre le cou à certains lieux communs parmi lesquels les centres seraient contre-productifs : comme on a pu le voir ce n’est pas toujours le cas, en gardant à l’esprit toutefois que tous les centres ne se valent pas, et que la meilleure cible d’un centre dépend de la position initiale.

J’ai bien aimé aussi la clairvoyance de l’auteur sur le choix de s’intéresser à ce qui se passe 6 secondes après le centre et non pas uniquement à un centre donnant lieu directement à un tir. Le football est un jeu fluide et il est souvent intéressant de regarder les conséquences indirectes d’une action ou d’un événement.

Enfin, ce qui m’a plu, c’est que l’analyse soit directement applicable en club puisqu’elle donne les zones cibles des centres en fonction de la position du centreur mais également les meilleures positions pour centrer. Ceci peut aider les coachs à organiser leurs ateliers de travail et à influencer également la position initiale des centres pendant les matchs.

La présentation de Garry Gelade


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3 réflexions sur “OPTA Pro Forum 2017 (8) – L’art de centrer

  1. Donc, en gros, l’observation des statistiques vient confirmer ce que l’observation empirique, et l’intuition nous dit. A part peut-être pour le second poteau… Mais alors, cela veut-il dire qu’il faut privilégier les centres au sol ou en hauteur ?

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